Quels managers pour demain ?   23 octobre 2012

Suite à notre dernier billet de blog, le professeur Marc Halévy* nous propose ce texte, que nous publions avec plaisir, tant il est pertinent.

On sait maintenant que, selon son stade de vie, l’entreprise requiert différents types de managers.

En phase de naissance, l’Entrepreneur est indispensable : charismatique, séducteur, créatif, souple, opportuniste, acharné, inébranlable, audacieux, etc.

En phase de croissance, le Stratège monte en scène : visionnaire, architecte, prospectif, créateur de finalités et de valeurs, etc.

En phase de maturité, le Gestionnaire arrive : rigoureux, fignoleur, économe, quantitatif, obsédé d’optimisation et de rendement, etc.

En phase de déclin, le Liquidateur prend place : négociateur, dépeceur, restructureur, chirurgien, sans états d’âme, etc.

Ces quatre profils sont probablement universels et éternels, mais ils prennent des colorations bien différentes selon la nature et les tendances lourdes du monde environnant.

Or, notre monde est aujourd’hui en pleine mutation, chacun le sait désormais.

Le paradigme classique socialo-capitaliste, scientifico-industriel et cartésiano-matérialiste, cède peu à peu la place à un nouveau paradigme : celui de l’immatériel (de l’information, du talent créatif et de la connaissance) comme matière première de base et comme fondement de l’économie, celui de la qualité (de vie, du travail, des produits, des relations) avant la quantité, celui de cette complexité généralisée qui rend le monde turbulent, imprévisible et impermanent, celui de cette mondialisation qui entraîne la disparition progressive des frontières et des Etats.

Puisque changement profond de paradigme il y a, changement intime des managers il doit y avoir !
Quels profils devront alors avoir les managers de demain ?

Premières caractéristiques :

Dans un monde perpétuellement turbulent, impermanent, imprévisible, instable, le type « Entrepreneur » s’imposera de plus en plus : tout sera à recréer tout le temps, rien n’arrivera plus à maturité (c’est déjà le cas pour bien des produits liés à l’informatique, par exemple).

Les qualités dominantes du manager de demain seront donc bien moins celles du Stratège et du Gestionnaire (celles que l’on s’obstine encore aujourd’hui à inculquer dans presque toutes les Ecoles de Gestion et de Management) que celles, bien plus subjectives et insaisissables, d’un créateur acharné, séducteur et charismatique, choses que l’on n’apprend pas dans les livres ou les amphithéâtres…

Créativité et séduction, donc !

Deuxièmes caractéristiques :

Puisque tout bougera tout le temps, de plus en plus vite, il faudra cultiver parallèlement l’éveil et le détachement.
L’éveil pour être en permanence sur le qui-vive, à l’écoute de toutes les palpitations des marchés, des clients, des collaborateurs, des technologies…
Le détachement pour garder, au milieu de cette foire d’empoigne, la sérénité et la tranquillité d’esprit des sages : « celui qui n’a rien a perdre a tout à gagner ».

Plus facile à écrire qu’à vivre même si Kipling nous l’avait déjà susurré :  Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie / Et sans dire un seul mot te mettre à reconstruire, / Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties (…), tu seras un manager, mon fils.

Moins que jamais, rien ne sera plus acquis à l’homme : le glas sonne pour toutes les rentes de situation. Beaucoup craqueront, victimes d’un stress croissant qu’ils n’auront pas réussi à dépasser, à transcender : ils avaient trop à perdre …

Vigilance et détachement, donc !

Troisièmes caractéristiques :

Plus rien d’essentiel ne sera réellement prévisible (qui avait anticipé le CD ou le DVD ? Qui avait prédit le 11 septembre ?), il faudra donc apprendre à vivre au présent, dans le précaire, dans l’incertain, avec l’ici et maintenant comme seul horizon.

Il n’y aura plus de repères, toute planification sera vouée à l’échec. Tout ce que vous espérez ne se passera que rarement ; tout ce que vous redoutez se passera probablement ; tout ce que vous ne soupçonnez même pas se passera certainement.

Alors ? Foncer. Oser. Avoir confiance en soi. Avoir foi en son projet de vie. Donner sa confiance à ceux qui s’embarquent sur votre galère.

Opportunisme et confiance, donc !

Quatrièmes caractéristiques :

Tout deviendra toujours plus complexe, c’est-à-dire plus inextricable et moins rationnellement analysable, tant les composants, leurs combinatoires et leurs relations réciproques seront denses.

Notre bonne vieille méthode cartésienne à la recherche, en tout, d’une rationalité virginale, échouera de plus en plus souvent à démêler les écheveaux du Réel : la Science elle-même le reconnaît et l’affirme (cfr. Prigogine, Reeves, Capra, Trinh Xuan Thuan, etc.)

Mais il est d’autres voies vers la connaissance que la raison raisonnante, tellement simpliste, tellement réductrice. Il ne faut donc pas tant nier la raison que la dépasser en réconciliant, enfin, cerveau gauche (celui de la rationalité analytique et réductrice) et cerveau droit (celui de la sensibilité intuitive et globalisante).

Les Ecoles de Gestion et de Management, demain (et même dès aujourd’hui, si possible) doivent se repenser elles-mêmes en vue de transmettre plus un savoir-être et un savoir-devenir que des savoir-faire condamnés dans l’œuf à l’obsolescence immédiate.
Il ne s’agit plus tant de posséder des savoirs que de construire des aptitudes et de développer des talents.

Intuition et sur-rationalité, donc !

Cinquièmes caractéristiques :

Dans un milieu extrêmement turbulent, toute structure rigide est condamnée à se briser. Du chêne et du roseau du bon Jean de la Fontaine, seul le roseau survécut dans la tempête.
Ainsi en sera-t-il des entreprises qui devront, sous peine de deuil, se défaire de toutes leurs rigidités, quelque rassurantes et confortables puissent-elles être.

Parmi celles-là, la rigidité hiérarchique, celle des pouvoirs et des titres (encore une rente de situation) disparaîtra bientôt : on peut certes être responsable voire dirigeant provisoire d’un projet, mais il est inconvenant de se prétendre « directeur » à vie !
L’autorité, si elle ne se mérite pas tous les jours, n’est plus qu’usurpation institutionnalisée d’un pouvoir illégitime. Adieu carrières et bureaux à trois fenêtres…

Les relations verticales de dominance ne pourront plus tenir dans la bourrasque. Elles céderont le pas aux relations horizontales de coopération, de collaboration et de complicité telles qu’elles se développent dans les modèles de gestion en réseau. Il n’y aura plus de chefs ; il n’y aura que des talents différents et complémentaires (y compris le talent de manager, c’est-à-dire celui de coordonner, d’arbitrer, de faire converger) qui devront apprendre à coopérer dans un projet commun, en vue d’une finalité commune.

Flexibilité, talent et coopération, donc !

La liste n’est pas épuisée, loin s’en faut, mais l’espace manque.

J’espère seulement avoir tracé les premiers traits d’un portrait bien différent de celui communément admis.

Le manager de demain ne sera plus ce guerrier bardé de certitudes d’airain, grand pourfendeur de concurrents, grand avaleur de parts de marchés, sous les oriflammes étincelants des budgets ambitieux et de mirifiques plans à trois ans.
Le changement de paradigme sonne aussi le glas des prétentions orgueilleuses et des images brillantes mais creuses.
Il s’agira de retourner au charbon, de créer de la richesse (pas seulement matérielle, mais intellectuelle, relationnelle, culturelle, spirituelle) avec frugalité et foi en ses métiers.
Il s’agira de faire acte d’humilité devant ce monde, immense et méconnu, qui dépasse infiniment ce fêtu de paille qu’est l’homme.
Il s’agira de réapprendre profondément le sens du travail et le travail du sens.

Marc Halévy

*Marc Halévy est prospectiviste, expert en management stratégique, spécialiste en interventions managériales auprès d’entreprises en situations complexes.
Polytechnicien, il est professeur à l’Université Libre de Bruxelles (IHE), à l’ICHEC (ISC-St-Louis, Belgique), à l’Université de Zagreb et à la Mercier University (USA).
Il est l’auteur de nombreux livres et articles, conférencier et expert auprès d’entreprises et réseaux pour lesquels il accompagne le management stratégique et prospectif.

Parmi ses ouvrages réputés : « NOÉTIQUE, vers la société de l’intelligence » : cliquez ici pour plus de détails sur cet ouvrage
« LE GRAND VIRAGE DES MANAGERS, du management post-industriel au néo-management » : cliquez ici pour recevoir un extrait gratuit

 

Et vous, qu’en pensez-vous ?
Comment voyez-vous les managers de demain ?
À votre avis, quelles sont leurs principales qualités ?
Vous pouvez réagir en laissant en commentaire.

 

Cette entrée a été publiée le mardi 23 octobre2012 à 16 h 05 min, et rangée dans Management. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via son flux RSS 2.0.Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un rétrolien depuis votre site.
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4 réponses

23 octobre 2012 à 23 h 24 min
Yves de Montbron écrit :

Merci à Marc Halévy pour ce billet prospectif, qui va sans doute déclencher de nouveaux commentaires…
En tous cas, il est en phase avec ses précédentes interventions, que ce soit dans ses livres ou lors de son atelier à la récente convention du réseau Germe au Puy du Fou…

26 octobre 2012 à 15 h 11 min
Stéphane ROSSIGNOL écrit :

Merci pour cet article. Il est conforme aux idées auxquelles je crois. Je rapproche ces idées des thèses défendues par Wikinomics. J’ai moi-même défendu ces idées dans mon mémoire sur les réseaux sociaux d’entreprise : Même constat de complexité et de changement, même nécessité d’être, d’agir, de savoir, de décloisonner les structures hiérarchiques. Merci encore et bravo !

26 octobre 2012 à 15 h 36 min
Yves de Montbron écrit :

Marc Halévy n’est pas le seul à professer ces thèses.
Je m’apprête à publier un autre texte allant dans le même sens.
A bientôt…
Yves de Montbron

29 octobre 2012 à 18 h 00 min
FABA écrit :

Marc Halévy n’est sans doute pas le seul à publier des points de vue trés intéressant sur le management adpaté au changement de paradigme mais rares sont ceux qui ont une profondeur de champs comme la sienne, plus rares encore ceux qui bénéficient d’une promotion au moins équivallente aux conseils VIP médiatisés des (souvent grands) patrons. C’est bien triste alors que l’économique a tant le vent en poupe dans nos sociétés en quête de sens. Le changement de paradigme va faire du ménage, sans doute pas dans la douceur, ne comptons pas sur ceux qui chantent – même faux – pour scier la branche lucrative de laquelle il nous expose leur vision du bon manager d’aujourd’hui et de demain. Vraiment trop de remises en question pour ceux qui se pensent intelligent, diplômes des meilleures écoles de business en poche et carnet d’adresses en béton. Vivement que le monde annoncé par Marc advienne, largement et place à des managers, positifs, vraiment d’un autre style.

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