Il suffit de 10% des collaborateurs pour changer toute l’entreprise   11 novembre 2019

Pour porter une « transformation virale », il faut compter sur les convictions contagieuses des plus engagés. Encore faut-il savoir comment les identifier.

Avec la prise de conscience massive des millennials, et d’une partie de plus en plus large d’individus, de l’impact de leurs choix et de leur consommation sur le climat et sur le monde, le sens que l’entreprise donne à ses activités, sa raison d’être et ses engagements en matière de responsabilité sociale et environnementale s’installent progressivement en avantages compétitifs majeurs sur le marché des talents comme sur celui des biens et des services. Les initiatives collectives, à l’instar des 181 dirigeants américains du lobby Business Roundtable engagés à intégrer des objectifs sociaux et environnementaux dans leur gouvernance, mais aussi des alliances de chefs d’entreprises créées en marge du G7 pour réduire les inégalités ou pour le climat, en témoignent. Mais le niveau d’exigence s’élève, les critères de mesure se précisent et la nécessité de montrer des preuves du passage des déclarations aux actes s’intensifie. Et ce d’autant que les nouvelles technologies de l’information permettent aux talents comme aux consommateurs d’accéder à de multiples ressources, à l’échelle mondiale, et d’évaluer en temps quasi réel ces actions et leurs impacts. Les entreprises vont donc devoir accélérer les transformations. Peuvent-elles y parvenir sans changer de méthode ?

Oser reconnaître ceux qui s’engagent
Oui, l’entreprise peut prendre sa part dans la résolution des urgences climatiques et sociales. Oui, l’entreprise doit être vue comme une des solutions. Oui, l’entreprise peut être profitable tout en étant actrice de l’« Act for Good ». C’est même une nécessité, la condition sine qua non de la pérennité et du succès durable. Les exemples, nombreux, de celles qui se sont déjà engagées en ce sens sont d’ailleurs probants : les entreprises dont les collaborateurs sont fiers de porter l’étendard et les clients de consommer les produits et les services surperforment en termes d’engagement, de performance et de fidélité des clients.

Mais tout cela a un coût. Celui du courage, de l’authenticité et de l’exigence, doublée de persévérance. Car le changement demande de s’impliquer, d’accepter de remettre en question ce qui doit l’être, de savoir créer un sentiment de responsabilité partagée. Pour accélérer la transformation, il faut partir de ceux qui s’engagent plus que la moyenne, oser les reconnaître, encourager leur prise d’initiative et les soutenir. Mettre en place les conditions de la confiance et de la réussite collective passe ainsi, pour le leader, par l’identification de relais solides.

Initier une « transformation virale »
De 2000 à 2003, alors responsable du programme « Accent sur Elles » chez Accenture, j’ai eu l’occasion de me confronter pour la première fois de ma carrière à l’expérience d’un changement interne profond. Nous étions au balbutiement des initiatives d’aide à la progression de carrière des femmes et le sujet était encore majoritairement tabou en France. Les quolibets étaient la règle, femmes et hommes semblaient peu convaincus du bien fondé de l’existence d’une telle initiative. J’ai très vite perçu que le chemin à parcourir pour faire évoluer les mentalités allait être long et que mon énergie ne suffirait pas à toucher individuellement 100% des acteurs nécessaires à un changement durable. J’ai donc entrepris de trouver des alliés et ai intuitivement choisi de suivre une nouvelle méthode.

Au lieu de m’atteler à la traditionnelle cartographie des pouvoirs et des acteurs, j’ai rencontré un grand nombre de personnes en face à face et ai commencé à qualifier leur appétence pour le sujet, leur authenticité quand ils en parlaient, leur courage et leur volonté d’incarner ce qu’ils voulaient que l’entreprise devienne. Je me souciais moins de leur position hiérarchique que de la force de leur conviction, de leurs valeurs (celles que l’on partageait), de leur volonté de s’engager pour l’intérêt général et pour le futur de l’organisation, et de contribuer à l’émergence d’un nouveau type de leader, plus inclusif et prêt à faire face aux défis qui se profilaient déjà. D’abord informels, des groupes de travail se sont constitués progressivement, sur la base de volontariat. Le virus s’est propagé, les uns appelant les autres par effets d’entrainement.

Un groupe d’une cinquantaine de fervents convaincus, femmes et hommes, se sont engagés à aller au-delà du diagnostic partagé et à mettre en œuvre à leur échelle les pistes de recommandations définis ensemble. Ils ont réussi à créer des précédents et à mettre à mal l’idée d’une fatalité, participant aussi à faire prendre conscience que des actions accessibles pouvaient être menées concernant chacun des leviers RH (recrutement, identification des talents, progression de carrière, etc.) et culturels. Le mouvement était enclenché. Et les résultats, agrégés, ont rapidement dépassé nos plus grands espoirs. Pour chacun d’entre nous, il y a eu un avant et un après.

Depuis, la puissance du collectif et la capacité de quelques individus aux caractéristiques singulières à porter le changement par l’exemple, le rayonnement et la conviction partagée, plus profondément que ne pouvait le faire le déploiement de grands processus et méthodologies , trop souvent mécanique et basé sur un principe de « one-size-fits-all », n’ont cessé de me surprendre.

En plus de quinze ans d’accompagnement de transformations complexes, j’ai eu maintes fois l’occasion d’affiner cette autre approche du changement, inspirée notamment par la psychologie positive (qui s’attache à observer pourquoi et comment certains animaux et certaines personnes surmontent mieux que d’autres les difficultés de la vie pour mieux trouver des moyens de développer ces qualités chez tout un chacun), mais aussi par les approches systémiques (qui montrent l’influence des systèmes sur les acteurs et vice versa). Ces observations rejoignent aussi le principe sociologique des 10%, constaté dans d’autres domaines par Malcolm Gladwell et baptisé « Tipping Point » (« Point de bascule »), selon lequel « quand, dans une population, des individus qui ont un comportement singulier s’allient et finissent par peser 10% de cette population, alors ce comportement singulier devient la norme ». Un principe dont nous avons pu vérifier la validité, avec néanmoins des pourcentages variables (entre 5 et 30%) en fonction de l’intensité de l’empreinte culturelle des entreprises accompagnées.

Bien choisir ces 10%
Un facteur de succès déterminant de cette « transformation virale », portée et impulsée par quelques-uns seulement, réside toutefois dans le choix des acteurs, dont voici quelques caractéristiques clés, fruits de mes observations.

  1. Ils ont une bonne connaissance d’eux-mêmes, de leurs forces, de leurs limites et de leurs besoins ;
  2. Ils sont performants et reconnus par leurs pairs – mais pas forcément par les organisations, qu’ils ont parfois tendance à remettre en cause ou à challenger par leur liberté de parole et de pensée;
  3. Ils se reconnaissent à leur capacité à regarder la réalité en face, avec objectivité et pragmatisme, et à leur aptitude à écouter les différents points de vue – même, voire surtout, s’ils ne rejoignent pas le leur;
  4. Ils ont une solide détermination et une forte résilience, en grande partie tirées de l’envie – voire de l’urgence qu’ils ressentent – de s’engager pour changer l’entreprise, pour changer le monde.

Repenser les modèles économiques, réécrire les critères de mesure de la performance pour équilibrer les visions court terme et long terme, et réinventer les manières de faire pour la planète ne les effraient pas – bien au contraire. Ils sont mus par le sens de leur action, agissent avec courage, conscients qu’il est nécessaire que quelques-uns ouvrent la voie pour que d’autres puissent ensuite se lancer, rassurés et inspirés.

Depuis de nombreuses années, j’ai la chance d’identifier, de soutenir et de réunir ces acteurs clés du changement. Je suis toujours agréablement surprise de la rapidité avec laquelle ils s’allient pour former spontanément des collectifs agiles et engagés, conscients que plus ils sont nombreux et solidaires, plus le changement auquel ils aspirent sera à leur portée. Parce que leurs convictions sont contagieuses et qu’ils obtiennent des résultats, ces « changemakers » font évoluer les mentalités et les pratiques managériales en suivant un credo simple : « être à leur place » et faire ce qu’ils ont à faire parce que c’est ce qui donne un sens à leur vie, à leur travail, à leur action.

Paule Boffa-Comby
Présidente de ReThink & LEAD, un « Think et Do Tank » dédié aux leaders de changement responsables, elle est coach de dirigeants et d’équipes, conférencière et professeure consultante à l’Executive MBA de L’EMLyon Business School. Auteure de plusieurs ouvrages dont « Le leader collectif » (Dunod, 2017), elle soutient et encourage des grands groupes

Source : https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/09/27890-il-suffit-de-10-des-collaborateurs-pour-changer-toute-lentreprise/

Cette entrée a été publiée le lundi 11 novembre2019 à 9 h 43 min, et rangée dans Management. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via son flux RSS 2.0.Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un rétrolien depuis votre site.
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