Les composantes du leadership   6 octobre 2014

KennedyJack Denfeld Wood étudie le leadership à partir des univers dont est issu ce concept : l’univers politique et l’univers militaire.

Quand il demande dans ses séminaires de citer des leaders hors du commun, les noms qui reviennent le plus souvent sont [1] : Hitler, Churchill, Staline, Patton, de Gaulle, Napoléon, Gengis Khân, Alexandre le Grand, Hannibal, Lénine, Jules César, John F. Kennedy, Eisenhower, Rommel, Mao Zedong, Mahatma Gandhi, Margaret Thatcher, Martin Luther King.

Cette liste ne compte aucun manager, aucun chef d’entreprise. On trouve essentiellement des hommes politiques dont la plupart se sont illustrés dans le domaine militaire (quand ils ne lui doivent pas leur carrière politique) et deux militaires dont les incursions dans le domaine politique ont été particulièrement calamiteuses (Rommel et Patton).
Ceci montre que l’organisation cherche un modèle de leadership hors d’elle-même. Elle ne sert pas de modèle mais cherche à dépasser l’utilitarisme qui est sa seule raison d’être par une légitimité d’emprunt où le leader digne de son rôle historique donne à l’organisation cette dimension morale dont l’absence entache si manifestement sa légitimité.

L’autre piste ouverte par cette question est casuistique. On peut utiliser les exemples comme autant de cas qui permettent de préciser le contenu du leadership. Voici ce qu’il en sort :

– Le leader joue un rôle décisif. C’est une façon de dire qu’il détient le pouvoir.

– Le leader est crédible. Cette affirmation introduit cette idée classique que ce n’est pas la même chose d’avoir raison et d’être cru. Le leader est celui que l’on croit, y compris pour de mauvaises raisons. C’est même parce que l’on peut croire quelqu’un pour de mauvaises raisons qu’existe la notion de leadership.

– Le leader a une forte personnalité. Ce n’est pas un homme d’écoute et de consensus. C’est plutôt quelqu’un qui s’impose.

– Le leader est courageux. Tel un Bonaparte au pont d’Arcole. Il est courageux par définition. Car le courage – la plus grande des vertus pour les Stoïciens – force l’estime et surtout l’absence de courage empêche l’estime. Le leader est courageux car l’absence de courage l’empêcherait d’être leader.

– Le leader est visionnaire. On est là au cœur de la légende. Le leader passe pour visionnaire et peu importe qu’il le soit puisqu’il est cru par définition. Dans ses Mémoires, Churchill dit en passant (en passant parce que c’est pour lui une évidence) que Clemenceau était un homme politique plus avisé que de Gaulle. Cette opinion venue d’outre-Manche choque à première vue notre hiérarchie du leadership (celle que nous avons sur le continent). Il n’en demeure pas moins que de Gaulle est cité quand Clemenceau ne l’est pas. Car de Gaulle passe pour visionnaire par définition même si des analyses argumentées peuvent tendre à relativiser la pertinence de certaines des gaulliennes visions.

– Le leader a un message simple. Comme on sait, Hitler ne s’embarrassait pas de nuances, de subtilités et de distinctions dans l’expression de son antisémitisme expéditif. Un leader plus exemplatif : Kennedy et sa nouvelle frontière. Message simple qui joue sur la puissance mystérieuse d’un symbolisme porteur d’espoir. « Du sang, de la sueur et des larmes », dit Churchill le 10 mai 1940. Peu d’espérance dans ce discours mais une façon simple de fouetter et flatter le courage de chacun. L’honneur national est relevé au moment précis où il chancelle.

– Le leader est tenace. Il consacre une énergie démesurée à la réalisation de ses objectifs.

– Le leader est un orateur accompli. Il possède l’art de retenir l’attention et de capter un auditoire.

– Le leader est charismatique. Le charisme est un pouvoir inexpliqué qui tient davantage aux traits que l’on prête à la personne qu’à la réalité.

– Le leader se trouve là au bon moment. Il sait saisir l’occasion quand elle passe. Il y a des moments brefs où ce qui était impossible et le sera bientôt est devenu possible. Le leader sait glisser sa décision dans cet interstice pour élargir le champ du possible. L’appel du 18 juin avait une fenêtre d’opportunité réduite, il ne s’agissait pas d’hésiter et de consulter mais d’agir promptement. À l’inverse, quand Hitler fait occuper la Rhénanie en mars 1936, réduisant à rien le Traité de Versailles, Albert Sarraut, Président du conseil français (c’était d’ailleurs un homme d’affaires égaré dans la politique) consulte pendant trois semaines. Au terme de ce délai, le fait est accompli, plus rien n’est possible. Hitler le leader a gagné face à Sarraut l’homme des consultations qui a commencé par déclarer qu’il ne « laisserait pas Strasbourg sous les canons allemands » pour faire précisément l’inverse. Par sa décision, le leader saisit à la gorge un instant privilégié avant qu’il ne s’évanouisse dans les mânes de l’impossible.

– Le leader finit souvent mal. Hitler : vaincu et suicidé. Churchill, battu en 1945. Patton mort prématurément dans un accident de voiture. De Gaulle, battu (par lui-même) en 1969. Napoléon, battu, exilé, mort pitoyablement. Gengis Khân, mort des suites d’une chute de cheval alors qu’il doit abandonner ses conquêtes aventureuses. Alexandre le Grand, mort au combat à trente-trois ans. Hannibal, proscrit, il se suicide pour échapper aux Romains chez qui il avait semé la terreur pendant une dizaine d’années. Lénine, trahi par Staline et mort prématurément. César, assassiné. Kennedy, assassiné. Rommel, suicidé après sa compromission dans la tentative d’assassinat de Hitler. Gandhi, assassiné. Margaret Thatcher, écartée par les siens en 1990. Martin Luther King, assassiné. S’il y avait une caisse de retraite pour leaders, ce ne serait pas la première en déficit. Par sa démesure même, le leader attire la catastrophe sur sa tête. La réalité à laquelle il n’a cessé de désobéir finit par le rattraper, par le rappeler durement à l’ordre. Dans le combat titanesque qu’il mène pour faire pousser du possible sur le sel de l’impossible, il ne connaît pas de mesure et de repos. À force d’entraîner les autres hors de leur voie, il s’isole.

Ces points représentent en quelque sorte « la totale » de la légende dorée et tragique du leader. Sous ces items variés qui oscillent entre le sens commun et la tautologie, deux capacités sont intrinsèquement attachées au leader :

– La capacité de prendre en charge des tâches assignées au groupe, d’en assumer la responsabilité.

– La capacité de maintenir la cohésion du groupe.

Ces deux capacités qui se renforcent l’une l’autre articulent l’action et la relation. Quel que soit le groupe considéré et quelle que soit sa culture, il semble bien que coexistent ces deux dimensions. Car dans tous les cas le travail doit être exécuté et ceux qui y participent doivent être soutenus.

[1] Jack Denfeld Wood : Qu’est-ce qui fait le Leader ?, Les Échos, 19 avril 1997.

Bruno Jarrosson dans « 100 ans de management » et sur http://www.bruno-jarrosson.com/asterix-leadership/

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Cette entrée a été publiée le lundi 6 octobre2014 à 18 h 00 min, et rangée dans Management. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via son flux RSS 2.0.Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un rétrolien depuis votre site.
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2 réponses

6 octobre 2014 à 18 h 48 min
Alain Dogniaux écrit :

Pour moi, un leader est quelqu’un qui donne envie aux autres de le suivre et de partager sa vision. Pas par la contrainte ni par la force, mais par son charisme, la clarté de son message et son respect de ses collaborateurs. Douglas McArthur était de cette trempe.

7 octobre 2014 à 15 h 16 min
Antoine écrit :

Le leadership c’est comme disait Antoine de ST Exupery “Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais réveille au sein des hommes le désir de la mer grande et large. »

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