La théorie du grain de sable   27 septembre 2018

Dans ce petit livre amusant et facile à lire, Laurence Bourgeois nous présente 7 familles de grains de sable qui sévissent en entreprise : Geignard, Gétouvu, Girouette, Glandu, Grandchef, Grobêta et Grognon. Ils ont tous une façon bien à eux de gripper la machine

Chacun d’eux fait d’abord l’objet d’une rapide description (ses propriétés physiques, ses expressions favorites, ses passe-temps favoris, ses surnoms, etc.), puis l’auteur apporte des éclairages argumentés sur son mode de fonctionnement, comment cela affecte le fonctionnement du service ou de l’entreprise et comment le gérer, voire le faire évoluer.

Extrait : « Geignard »

Ses propriétés :
– Geignard a toujours l’impression d’être pris pour le pion qu’on manipule, pour le grouillot de service, pour le dernier maillon de la chaîne.
– Se positionnant en victime, Geignard a toujours l’impression d’être le grain « du dessous », pour qui les évolutions sont compromises. Il a l’impression que les choses avancent toujours plus vite pour les autres que pour lui.

Ses expressions favorites : « On compte vraiment pour du beurre… » « Ça ne marchera jamais », « Cela va mal finir », « Ne nous réjouissons pas trop vite » « C’est affreux »

Ses passe-temps favoris : se plaindre, broyer du noir, critiquer, jouer les victimes, trouver des sujets de lamentation.

Ses surnoms : pleurnichard, victime, Calimero.

Dans nos organisations dominées par le culte de la performance, de la réussite et de la « gagne », il semble inévitable de tomber dans l’aigreur. Le problème, avec Geignard, c’est son insatisfaction chronique, même en cas de victoire. Victime de tout et de tous, il est incapable de la moindre pensée positive.
L’enthousiasme et la bonne humeur ? Il ne connaît pas… De nature pessimiste, voire totalement déprimée, il plombe le moral de quiconque lui adresse la parole et n’a pas son pareil pour pourrir l’ambiance au bureau.
À côté de lui, Calimero ou Droopy passent pour des rois de l’optimisme !

UN PESSIMISTE TROUVE TOUJOURS UNE BONNE RAISON DE SE LAMENTER.
Lorsque vous le croisez dans les couloirs ou qu’il vient s’épancher dans votre bureau, son air mécontent et insatisfait vous exaspère. À force de tout observer au travers de filtres négatifs, inévitablement, il voit le verre à moitié vide plutôt que celui à moitié plein, portant un regard déformé sur les personnes, les événements et la vie en général. « Le pessimisme consiste à toujours préférer une certitude négative à l’incertitude », rappelle Christophe André.

LES PRINCIPAUX TRAITS DE LA PERSONNALITÉ PESSIMISTE

  • Prévisions négatives fréquentes face à l’avenir.
  • Accent mis spontanément sur les détails qui clochent.
  • Amplification du négatif et minimisation du positif.
  • Distillation continue d’humeurs toxiques.

Non content de tout voir en noir, Geignard adore disséminer la grisaille autour de lui, notamment en s’adonnant au jeu du « C’est affreux ». Le joueur du « C’est affreux » (position dominante : victime) exprime ouvertement sa détresse. Il tente de trouver des explications à tout, mettant en scène un personnage nébuleux désigné par le pronom indéfini « on ». Monsieur Geignard vient d’essuyer successivement deux licenciements économiques : « Aujourd’hui, on ne pense qu’à satisfaire les actionnaires! N’est-ce pas affreux ? » Madame Geignard travaille dans une entreprise depuis plus de vingt ans : « C’est affreux : de nos jours, on ne communique plus que par messagerie électronique ! »

Observez bien Geignard. Lorsqu’un nouveau projet, une mission complexe ou des tâches inhabituelles lui sont confiés, il suit en général un processus de réflexion en trois étapes : avant, pendant et après l’action à réaliser.
– Avant l’action : « À quoi bon mettre en place ce nouveau système de primes ? Les commerciaux n’arriveront jamais à atteindre leurs objectifs !»
– Pendant l’action : « Nos concurrents sont tellement agressifs que nous perdons régulièrement des parts de marché. Comment voulez-vous y arriver ? »
– Après l’action : «Cette décision est nulle : elle va nous démotiver. »

Bien entendu, quand ses prédictions négatives se réalisent… Geignard se complaît dans le malheur.

Avec lui, c’est toujours la faute des autres. Ce rejet systématique des responsabilités constitue une certaine forme de fatalisme, laissant supposer que nous nous considérons comme des victimes de notre société et du sort qui nous est réservé. « Que veux-tu… Je ne suis qu’un pauvre pion que l’on déplace sans égards. Nous ne sommes que des pantins dans cette société. »

Enfin, Geignard instaure des relations de dépendance avec autrui. Son besoin perpétuel d’être encouragé et soutenu le conduit en général à accepter toutes les corvées, par peur d’être rejeté. Une critique, aussi ponctuelle soit-elle, suffit à le déstabiliser. Il supporte très mal les ruptures et les mises à distance.

Vous avez l’impression de constamment le porter à bout de bras. Pour faire simple, vous traînez Geignard comme un boulet.

VIRUS EN VUE
Notre société développe un goût prononcé pour la victimisation ou, comme la nomme le spécialiste de l’optimisme, Philippe Gabilliet, « l’addiction morose ». En effet, « la situation économique et sociale des années récentes génère de l’anxiété dans la vie professionnelle d’un grand nombre de personnes. Accélération du monde et changements divers, perte des repères anciens et de la visibilité sur le futur, crainte de l’obsolescence des compétences et de la disqualification professionnelle, peur de l’imprévisible sous toutes ses formes, tels sont les ingrédients du doute et de la perte de confiance en soi et en la société, terrain d’élection du pessimisme collectif ».

Dans ce climat de morosité ambiante, les Geignards se comportent et agissent tels des virus, avec un pouvoir de dissémination et de contagion extrêmement rapide. Leurs jérémiades suivent un processus de diffusion en chaîne, dont la vitesse de propagation empêche tout contrôle. Et nous savons très bien à quel point les idées noires sont contagieuses… Quel que soit le niveau de résistance que vous lui opposez, ce grain a vite fait de vous embarquer dans sa spirale défaitiste. En l’espace de quelques semaines, voire de quelques jours, Geignard peut déteindre sur ses collègues. en les poussant à se plaindre à tout bout de champ. Pour peu que ces derniers soient en contact régulier avec d’autres personnes en interne, c’est tout un service ou l’entreprise dans sa globalité qui peut s’enliser dans une spirale négative et courir à la catastrophe. Ainsi Geignard représente-t-il le point noir des managers, ces derniers préférant finalement les exclure progressivement des groupes de travail les plus intéressants et les exposer le moins possible à l’extérieur, de crainte de ternir l’image de l’entreprise.

AVEC UN PESSIMISTE UNE CURE DE DÉSINTOXICATION S’IMPOSE.
Stop! Il est temps d’enrayer la spirale du négativisme et de l’insatisfaction.

Que vous soyez collègue ou manager de Geignard, comment le gérer au mieux et éviter la contamination, sans pour autant le reléguer au rang de pestiféré à mettre en quarantaine ?

Le premier point à éclaircir consiste à vous demander pourquoi il voit tout en noir, en veillant à ne pas vous immiscer dans sa vie personnelle. Essayez d’identifier habilement les raisons de son mal-être, car s’il gémit et ne cesse de râler, ce n’est sans doute pas pour rien.

Sa motivation professionnelle s’est éteinte ? Pour quelles raisons ? S’agit-il d’une déception professionnelle (responsabilités en deçà de celles du poste « vendu » lors de l’entretien d’embauche, par exemple), d’émotions qu’il ne s’autorise pas à exprimer (comme la peur de perdre son poste), de ressentiment lié à un manque de reconnaissance… ? En règle générale, une personne devient aigrie quand elle n’est pas reconnue à sa juste valeur dans l’entreprise. Geignard manque-t-il de reconnaissance financière ? Sociale ? Pourquoi ressent-il cette impression désagréable d’être pris pour une marionnette ? Existe-t-il des éléments sur lesquels vous pouvez agir pour restaurer son engagement et son enthousiasme ? Pousser Geignard à nommer ce qui le préoccupe requiert beaucoup d’habileté, d’une part pour ne pas le braquer et, d’autre part, parce qu’il présente une fâcheuse tendance à tout vouloir généraliser, si bien qu’il ne sait plus très bien pourquoi il se plaint et finit par pester contre tout.

Apprenez-lui les mots positifs de l’entreprise, aujourd’hui absents de son champ lexical : challenge, réussite, succès, amélioration, construction, victoire, évolution, etc. Tentez de combattre sa mélancolie en lui prouvant que tout n’est pas si noir.

Trouvez par exemple un point d’accroche valorisable à ses yeux… En portant ainsi son attention sur des éléments positifs, vous parviendrez peu à peu à l’entendre dire : « c’était bien » ou « j’ai aimé ». Qui sait, peut-être obtiendrez-vous un « c’était génial ! » ou « j’ai adoré ! ». Et avec un peu de persévérance, la métamorphose pourra être totale, avec un Geignard qui se promènera dans les couloirs le sourire aux lèvres…

Mais pour en arriver là, vous allez devoir mettre en œuvre la stratégie dite « des petits pas ».

POUR FAIRE UN GRAND SAUT, COMBIEN DE PETITS PAS ?
Cette méthode de management consiste à proposer (explicitement ou non) à un collaborateur des étapes relativement faciles à franchir, afin de lui permettre d’entrer progressivement dans la spirale du succès. Cette approche, contraire à celle (plutôt décourageante et démotivante) du « tout, tout de suite », permet de gonfler la confiance et l’estime de soi par petites touches.

Valorisez Geignard, en mettant en avant chaque petit progrès du quotidien Ne soyez pas avare de compliments : « j’ai apprécié que tu sois concis et efficace pour gérer ce dossier. »

N’oubliez pas…
UNE VICTIME EST COMPARABLE A UN COMPTE BANCAIRE « DANS LE ROUGE », À LA DIFFÉRENCE PRÈS QU’ELLE NI RENFERME PAS DE LIQUIDITÉS, MAIS DE L’AFFECT.

Rien de tel pour extraire quelqu’un de la morosité que de l’inciter réfléchir en termes de solutions. Ainsi, questionnez Geignard pour l’amener à trouver lui-même une sortie vers le haut ; il est essentiel que les options viennent de lui.

Méfiez-vous de ses tentatives de séduction. Restez ferme et protégez-vous. Faites preuve de compréhension sans entrer dans le jeu de ses lamentations. Ne vous laissez pas attendrir. Il adore se positionner en victime, attendant passivement que vous jouiez le sauveteur (afin de l’entretenir dans son rôle de victime).

CASSEZ LE JEU D’UNE VICTIME EN LA REPOSITIONNANT EN « ADULTE RESPONSABLE ».
L’analyse transactionnelle, théorie développée dans les années 1950 par le psychiatre Éric Berne, dont l’objectif consiste à prendre conscience et à analyser les relations (appelées « transactions ») entre deux ou plusieurs personnes, repose sur l’identification et l’analyse des trois « états du moi » constitutifs de la personnalité de chacun : le Parent, l’Enfant et l’Adulte. Ses experts expliquent notamment que l’Adulte qui sommeille en nous nous permet de raisonner, d’observer les faits sans porter de jugement de valeur, de rationaliser, d’écouter, d’analyser, de tirer des conclusions objectives et factuelles et d’agir avec recul. Pour faire jaillir cet état de notre personnalité, rien de tel que de replacer la conversation sur un terrain professionnel factuel, en renvoyant Geignard à ses responsabilités et en faisant fi de ses jérémiades. Faites-lui comprendre que le fait de se plaindre à longueur de journée des difficultés qu’il rencontre et des malheurs qui l’accablent n’a jamais permis de faire avancer les choses.

EN BOUT DE COURSE…
Si, en dépit de vos efforts, les attitudes défaitistes de Geignard persistent, c’est que vous ne pourrez pas le changer. Ne perdez plus votre temps et votre énergie à écouter ses jérémiades ; fuyez-le ! Sans cela, il finira par vous saper le moral et attaquer en profondeur votre enthousiasme.
Après tout, vous n’êtes en rien obligé de lui laisser votre porte constamment ouverte… Vous n’êtes pas le bureau des réclamations ! Selon la belle expression de Cocteau, Geignard finira sans doute par « suivre sa pente naturelle en la remontant ».

La théorie du grain de sable ou l’art de neutraliser les casse-pieds en entreprise de Laurence Bourgeois ; Ed. Diateino.
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Cette entrée a été publiée le jeudi 27 septembre2018 à 17 h 41 min, et rangée dans Management. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via son flux RSS 2.0.Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un rétrolien depuis votre site.
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Une réponse

23 février 2019 à 8 h 34 min
Augry Franck écrit :

bonjour vraiment bien cet article, il est tellement dans la réalité de ce que les managers affrontent spécialement en France
J’aimerai bien interviewer Laurence Bourgeois, ayant moi même un blog sur la management tourné 100% éthique
excellent WE
Franck

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