Astérix et le leadership   24 septembre 2014

IllustPourquoi Astérix n’est-il pas chef ?

Dans son livre Du conflit à la motivation[1], Yves Enrègle utilise l’exemple d’Astérix pour proposer une certaine façon de décomposer le pouvoir. Pourquoi le village gaulois résiste-t-il victorieusement à l’envahisseur ? Parce qu’il combine habilement cinq types de pouvoir, répond Yves Enrègle.

Le pouvoir de compétence

Le premier atout majeur dans le jeu du village est Obélix. Pourquoi ? Parce que Obélix est fort. Il peut tout faire. On lui demande de déraciner un arbre, il le fait, on lui demande de transporter un menhir, il le fait. Parce qu’il est tombé dans la marmite de la potion magique étant petit, il jouit d’une force absolue. Obélix a le pouvoir de la compétence dans cet univers régulé par la force. Mais Obélix souffre d’un handicap qui l’empêche de prétendre à de hautes fonctions. Il n’est pas bien intelligent. Il sait tout faire mais il ne sait pas ce qu’il faut faire. Il possède une compétence mais il lui manque le discernement. Dès qu’il est seul, il fait des bêtises. C’est pourquoi il est accompagné d’Astérix.

Le pouvoir d’expertise

Si Astérix et Obélix font équipe, ce n’est pas seulement par amitié, c’est aussi qu’ils se complètent. Astérix, lui, ne sait rien faire de particulier mais il sait ce qu’il faut faire. Il est doté d’intelligence et de discernement et s’appuie sur la force d’Obélix pour réaliser ce qui doit l’être. À eux deux, ils sont capables de grands succès.

Doté du pouvoir stratégique, Astérix pourrait prétendre au pouvoir. Mais en fait, il n’a que le pouvoir que lui consent Obélix. Il ne peut agir que si Obélix lui reconnaît son expertise. Or Obélix est souvent tenté de contester le pouvoir d’Astérix. Ce n’est pas parce que l’expert a raison qu’on va le croire et encore moins lui obéir. Les relations entre Astérix et Obélix sont donc instables par nature, elles ont besoin d’être régulées.

Le pouvoir administratif

C’est le rôle du chef statutaire, Abraracourcix, de réguler les relations entre le pouvoir de compétence et le pouvoir d’expertise, entre Obélix et Astérix. Le pouvoir d’Abraracourcix tient à la composante rationnelle. Il est le chef statutaire. C’est d’ailleurs son seul pouvoir. Comme son nom l’indique, il n’a pas le bras long, il ne peut pas grand-chose hors de son statut de chef. Il est moins fort qu’Obélix, moins intelligent qu’Astérix, moins charismatique que Panoramix. Son pouvoir est réel mais fragile comme le symbolise le fait qu’il tombe souvent de son bouclier. Lorsque la situation est grave, qu’il ne parvient plus à réguler les relations dans le village, un quatrième pouvoir entre en scène.

Le pouvoir charismatique

Panoramix n’est rien dans l’organigramme du village, sauf qu’il est le druide, hors cadre. On le croit pour ce qu’il est, il n’a rien à prouver. Comme son nom l’indique, il voit loin. Il sait rétablir l’unité entre Abraracourcix et les autres. Il sait sauver le village des plus grands périls, il est détenteur de secrets prodigieux, c’est du moins ce que l’on croit. On sent bien que Panoramix pourrait être chef, qu’il est en fait le vrai chef, mais on sent aussi qu’il est au-dessus de cela. Son pouvoir ne s’explique pas et pour cette raison il ne se discute pas.

Le pouvoir de l’intégrateur négatif

Il peut arriver que les quatre pouvoirs précédents soient insuffisants à sauver le village, en particulier quand une solide zizanie s’installe entre les acteurs. Dans ce cas, le village a une assurance tous risques contre la désunion en la personne d’Assurancetourix. Quand le barde veut chanter, tout le monde se met d’accord pour l’en empêcher, ce qui rétablit l’unité du groupe. Assurancetourix possède le pouvoir de faire l’unité du groupe contre lui. Il assume la fonction du bouc émissaire dont on connaît le rôle crucial dans la vie des groupes.

Si le village gaulois résiste victorieusement à l’envahisseur, nous dit Yves Enrègle, c’est parce qu’il articule habilement les cinq types de pouvoir. Il s’en déduit également une modélisation du leadership sans rapport avec le leader cheap. Le leadership se déploie dans quatre dimensions :

– Le leader a de la compétence sur le métier. Cette dimension n’apparaît pas dans une vision bureaucratique de l’organisation. La bureaucratie découpe le métier en autant de parties que nécessaire. En ce sens, le leadership sert bel et bien à remettre en question la bureaucratie.

– Le leader a de la compétence stratégique. Il sait ce qu’il faut faire, il prend les bonnes décisions.

– Le leader a le pouvoir statutaire. C’est la dimension rationnelle du pouvoir. Non seulement il l’a mais il en accepte les aspects symboliques, il ne se comporte pas en marginal. Le patron risque de troubler la base s’il se comporte comme elle. Un président normal est surtout un président affaibli.

– Le leader a un pouvoir charismatique, c’est-à-dire une capacité d’influence dont la source est inconnue. Un pouvoir dont il a l’usufruit mais pas la nue-propriété.

En aucun cas le rôle de l’intégrateur négatif ne doit être exercé par le leader. Mais il peut être utile que ce rôle soit tenu. Le jeu syndical peut consister à enfermer le leader dans ce rôle. Le leader doit alors absolument sortir de ce jeu par un acte créatif et symbolique.

Contrairement au village gaulois, les quatre dimensions du leadership doivent se retrouver en un seul homme. Le leader doit, ou devrait, avoir ces quatre qualités. Dans la réalité des choses et des êtres, chaque leader est plus à l’aise sur certaines dimensions que sur d’autres. Le leader, parce qu’il est un homme réel, ne peut pas entrer dans le moule du leader idéal défini par la théorie. Le leader doit alors constituer une équipe complémentaire, par exemple avoir un numéro deux qui maîtrise les dimensions sur lesquelles lui-même est faible. Au risque de retomber sur l’aporie classique des équipes complémentaires, celui qui menace en permanence notre village gaulois : le risque de la mésentente. La question du leadership dérive alors vers celle de la cohésion d’équipe.

La complémentarité des équipes, cependant, n’efface pas le pouvoir, le fait que certains ont davantage de pouvoir que d’autres, qu’il y ait des grands et des moins grands.

[1] Yves Enrègle : Du Conflit à la motivation, Éditions d’Organisation, 1985.

Bruno Jarrosson dans « 100 ans de management » et sur http://www.bruno-jarrosson.com/asterix-leadership/

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Cette entrée a été publiée le mercredi 24 septembre2014 à 18 h 00 min, et rangée dans Management. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via son flux RSS 2.0.Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un rétrolien depuis votre site.
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9 réponses

25 septembre 2014 à 10 h 28 min
POULAERT écrit :

Excellente analyse !
Bravo et merci pour ce bel article !

25 septembre 2014 à 11 h 05 min
Luc JOURDAN écrit :

Belle approche qui m’éclaire et m’amène des questions.
L’article sous entend que malgré tout le leader charismatique est le vrai chef. Un président charismatique et un DG leader « compétences et stratégies », est-ce un bon couple pour développer une entreprise ?
En tant que business angels comment évaluer une équipe de fondateurs avec cette approche ?
Merci pour votre bon travail.

25 septembre 2014 à 12 h 00 min
Yves de Montbron écrit :

Bonjour Luc,
Merci pour votre commentaire et vos questions.

– « Un président charismatique et un DG leader « compétences et stratégies », est-ce un bon couple pour développer une entreprise ? » Je pense que oui.
En effet, le président va porter une vision, un projet ambitieux, le fera connaître et partager pour que l’ensemble des collaborateurs y adhère.
Le DG va transformer cette vision en plan d’action concret : fixation des étapes, évaluation des résultats, ajustements, etc.

– « En tant que business angels comment évaluer une équipe de fondateurs avec cette approche ? » Assurez-vous qu’il y a dans l’équipe les 4 clés nécessaires : la compétence métier, la compétence stratégique, le pouvoir statutaire, le pouvoir charismatique.
Au démarrage d’une entreprise, ces 4 rôles peuvent être incarnés par une seule personne.
Et le rôle de l’intégrateur négatif peut être attribué à un concurrent clairement identifié (dans les années 80, Steve Jobs avait désigné IBM pour jouer ce rôle).

25 septembre 2014 à 12 h 07 min
Haykel KETBI écrit :

Superbe vision
Très bonne réflexion 😉
Merci !

25 septembre 2014 à 14 h 07 min
Luc JOURDAN écrit :

Un positionnement marketing « contre » (Apple contre le géant IBM…) est assurément un atout externe et interne. Ceci pour l’avoir pratiqué pour mon entreprise sur le thème les « PME contre les grandes entreprises ».

14 octobre 2014 à 16 h 06 min
Philippe@gestionRH écrit :

L’illustration est excellente ! Vous sous-entendez que le chef officiel n’est pas forcément le plus à-même à diriger les équipes. Il doit s’entourer de personnes aux qualités diverses et surtout d’un leader charismatique comme Astérix.

14 octobre 2014 à 19 h 28 min
Yves de Montbron écrit :

Merci Philippe,
Oui, le management n’est pas l’affaire d’un homme seul, mais d’une équipe composée de talents divers.

23 octobre 2014 à 10 h 18 min
Simon écrit :

Comparer une entreprise au célèbre village de gaulois est une excellente idée. Vous illustrez vos propos de manière humoristique et pourtant très réaliste. Votre article est vraiment sympa !

23 octobre 2014 à 14 h 29 min
Laurent écrit :

C’est extra cette analyse ! Vos propos sont bien argumentés et vos exemples très bien trouvés. Sur le fond vous avez entièrement raison, une équipe composée de plusieurs leaders a de nombreux atouts.

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