Comment adapter son management aux nouveaux leviers de motivation de ses collaborateurs ?   7 janvier 2013

L’ère post moderne qui semble émerger sous nos yeux, et ses conséquences en management, remet en question tous nos paradigmes établis.

En effet, on peut affirmer avec certitude que l’atmosphère managériale semble irrésistiblement changer de parfum, si l’on en croit plusieurs études et travaux très sérieux réalisés par des experts. On peut citer :
• Marc Halévy*, spécialiste des processus complexes, philosophe et physicien, auteur de « Le grand virage des managers** »
• Michel Maffesoli, sociologue français, auteur de « La passion de l’ordinaire »
• Le Centre de Recherche et d’Etude sur les Comportements des Individus (CRECI)
• Claude Bordes, consultant de la société SYLLOG

L’idée de ces lignes est de parcourir un bout de chemin dans un nouveau monde que certains appellent le monde post moderne. Nous partageons dans nos entreprises respectives des problématiques communes, et face à ces problématiques, nous nous sentons parfois seul. D’autant plus seul, que l’on a parfois l’impression, quand on est manager, qu’on nous demande quelquefois l’impossible…

En effet, que c’est difficile d’être manager aujourd’hui ! On pourrait même ajouter, que c’est difficile d’être managé ! Ce cri du cœur, que l’on a tous poussé au moins une fois, est une réaction épidermique à ces vents qui soufflent actuellement et qui semblent contraires à la poursuite d’un management serein et paisible qu’on a tous connu.

De nos jours, le menu quotidien en management c’est plutôt visibilité réduite, changements incessants de cap, une réunion puis une autre réunion, avec à la clé déstabilisation, démotivation et saturation des équipes et des individus…

Alors, dans ce contexte, comment continuer à obtenir quelque chose de nos équipes malgré tout ?

Pour tenter de répondre à cette question et se remonter le moral, nous allons procéder en 3 temps :

– Dans un premier temps, nous formulerons 3 convictions essentielles pour redéfinir la place et le rôle du management dans le contexte actuel.

– Dans un second temps, nous tenterons de renifler 6 grandes ruptures entre le monde moderne que nous quittons un peu plus chaque jour, et le monde post moderne dans lequel nous rentrons un peu plus chaque jour, en nous disant que c’est très probablement dans ces ruptures-là que se cache quelque chose soit de potentiellement très perturbant, soit de potentiellement très excitant, en fonction de la grille de lecture que l’on a de ces ruptures.

– Dans un troisème temps, nous imaginerons, à partir de l’analyse de ces 6 ruptures, ce que pourraient être les 6 nouveaux leviers de motivation du management post moderne pour recréer au quotidien un peu de sens, un peu de motivation et un maximum d’actions au niveau des équipes.

Les 3 convictions du management post moderne.

Pour redéfinir la place et le rôle du management dans le monde post moderne naissant, voici 3 convictions essentielles pour faire face à une atmosphère managériale qui semble changer irrésistiblement de parfum :

1 – Un management performant n’obéit pas au contexte ou à la conjoncture. En effet, quel que soit le contexte ou la conjoncture, le besoin de management existe. Ce qui change, en revanche, et parfois de façon assez radicale, ce sont les registres sur lesquels le management doit se caler pour que être perçu comme pertinent, cohérent et consistant…

2 – L’engagement des collaborateurs est une affaire d’époque et de circonstance. En 2013, un collaborateur ne s’investit pas dans son travail pour les mêmes raisons et dans les mêmes circonstances qu’il y a quelques années. Il est essentiel de comprendre et s’adapter aux leviers de motivation actuels, pour mettre en place un management porteur de sens…

3 – Le manager post moderne doit devenir une force d’interposition entre des contextes d’entreprise toujours plus complexes (et a priori toujours plus défavorables), et des équipes toujours plus déroutées par ces contextes. C’est précisément cette capacité d’interposition en situation complexe et défavorable qui fera la légitimité et la crédibilité du manager post moderne…

Vous l’avez compris, ces 3 convictions plantent le décor du management post moderne. Reste à trouver la faille, pour s’interposer avec légitimité et crédibilité.

C’est justement pour trouver cette faille que nous allons renifler 6 grandes ruptures entre le monde moderne et le monde post moderne, en sachant que c’est probablement dans ces ruptures-là que se cache quelque chose de potentiellement très perturbant pour notre management actuel et de potentiellement très excitant pour notre management futur.

La première grande rupture que l’on constate au quotidien, c’est le passage progressif de la raison à la passion.

Dans le monde moderne, les décisions et les comportements des individus en général et des managers en particulier étaient principalement guidés par la raison. Dans le monde moderne, on voulait tout expliquer, tout rationaliser, tout standardiser, tout homogénéiser (les comportements, les techniques, les processus).

Dans le monde post moderne qui est en train d’émerger, la raison arrive à saturation avec un rejet de plus en plus aigu de tout ce qui est standard, et la passion pointe le bout de son nez. L’envie de se lâcher, l’envie de créer et de vivre autre chose démange de plus en plus de monde… pour le meilleur comme pour le pire d’ailleurs. La raison et ses excès nous ont parfois bridé, emprisonné et cloisonné dans des carcans pendant de nombreuses années. Face à cette saturation, tout se passe comme si l’heure de la rébellion avait sonné et c’est pour cela que la passion et les réactions exacerbées sont en train de pointer le bout de leur nez dans nos équipes. Et ce n’est qu’un début !

Au cœur de cette rupture, il y a, d’une part, le management « raison ». C’est celui que l’on connait bien : les plans stratégiques normalisés, les plans d’actions standardisés avec leurs les batteries de contrôles et de processus pour verrouiller le système. D’autre part, il y a le management « passion », que l’on connaît moins. Soit parce que c’est nouveau, soit parce qu’on ne se l’autorisait pas, étouffé par la logique dominante !

Bonne nouvelle pour ceux que le tout-raisonnable ennuie ou agace : la demande de passion est à la hausse. Aujourd’hui, on est plus « fan de », que « de froidement pour » ou de « froidement contre »… On a « plus envie de » que « besoin de »… On préfère « avoir le sentiment que », plutôt que « d’avoir l’argument pour »… Ce retour de flamme pour le passionnel, même s’il est difficile à canaliser, va nous offrir des opportunités pour notre management de demain.

La deuxième grande rupture entre le monde moderne et le monde post moderne, c’est le passage de la durée à l’intensité.

Dans le monde moderne, ce qui comptait c’était durer car la vision du futur et de l’avenir était synonyme de progrès et d’espoir pour une majorité d’individus. Dans le monde moderne, on passait donc son temps à préparer le futur, d’où des planifications et des prévisions incessantes.

Dans le monde post moderne qui émerge, ce qui compte de plus en plus, c’est l’intensité, le sel et le piment de ce que je vis ici et maintenant. Ce rapport différent au temps est peut-être lié au sentiment naissant que le futur n’est plus forcément synonyme de jours meilleurs. Il est même parfois synonyme de précarité et d’incertitude. C’est cette sensation de « précarité potentielle » qui donne envie aux gens de vivre le moment présent avec intensité, sans tout miser sur des lendemains très incertains.

Comment manager des équipes qui ne préparent pas forcément leur avenir ? Manager la durée et manager l’intensité requièrent des leviers tout à fait différents, voire opposés et, pour des managers modernes, c’est parfois très déroutant ! Et pourtant, l’envie d’intensité qui est en train de monter dans nos équipes devrait faire naître de nouveaux leviers de motivation.

La troisième grande rupture entre le monde moderne et le monde post moderne, c’est un passage des injonctions aux interactions.

Dans le monde moderne, les relations hiérarchiques étaient guidées par l’injonction. Ces injonctions, on les connaît bien : faut faire ceci, faut faire cela, ou encore le célèbre « Il y a qu’à, faut qu’on ». Toutes ces injonctions sont encore souvent la base d’un contrat entre employé et employeur. Le problème est que ce contrat est de moins en moins respecté — par les 2 parties d’ailleurs — et que les injonctions deviennent de plus en plus stériles.

Dans le monde post moderne qui émerge, les relations hiérarchiques, quand elles ne sont pas remplacées par des fonctionnements en réseaux, se construisent sur des interactions réelles, ce qui, au passage, transforme « le contrat » (relation très mécanique entre un employeur et un employé) en « pacte » (relation beaucoup plus biologique entre 2 personnes).

Evidemment, un pacte ne se manage pas comme un contrat et la capacité de transformer un « contrat » en « pacte » peut créer de nouveaux leviers de motivation tout à fait intéressants.

La quatrième rupture entre le monde moderne et le monde post moderne est peut-être la plus fun. En effet la notion d’ «enjeu» se transforme en notion de «jeu».

Dans le monde moderne, tout était une question d’enjeu. Il y avait les enjeux commerciaux, les enjeux stratégiques, les enjeux professionnels, les enjeux personnels… Ces enjeux multiples, tous flanqués du culte de la performance, ont fini par émousser et lasser même les soldats les plus dévoués.

En réaction à ces enjeux variés, la notion de « jeu » pointe le bout de son nez. Malgré la crise ou à cause d’elle, et parce qu’on est saturé d’enjeux, l’individu n’a jamais autant joué aux jeux de hasard et jamais autant parié. La France et les salariés sont en crise, mais la France et les salariés s’amusent, jouent et parient. Et si le jeu était un nouveau levier de motivation pour nos collaborateurs ? Comment jouer avec les objectifs commerciaux, les plans d’actions et les systèmes de rémunération variables ?

La cinquième rupture entre le monde moderne et le monde post moderne nous amène de la dispersion à la focalisation.

Dans le monde moderne, tout était une priorité et tout était important, d’où une certaine dispersion, voire une certaine déperdition en énergie et en ressources vitales. C’est bien connu, trop de priorités tuent les priorités et finit par briser l’élan vital qui existe en chacun de nous. Pour conserver notre santé physique et mentale, nous avons donc appris à nous protéger et surtout à nous retrancher dans ce qui était vraiment important pour nous. Est-il possible de faire de ce repli, de ce relativisme ou de ce lâcher-prise, un levier de motivation ? Comment mettre en place un management post moderne focalisé sur ce qui est essentiel et sacré aux yeux de nos collaborateurs ?

La sixième rupture entre le monde moderne et le monde post moderne est peut être la plus subtile. C’est la transformation de l’individu en personne.

Dans le monde moderne et sa volonté de tout standardiser, on aimait bien modéliser les gens pour les segmenter par type d’individus, afin de les manager de façon très rationnelle et très mécanique. Le problème, c’est qu’un individu n’est pas que rationnel, il a même tendance à l’être de moins en moins, saturé de raison qu’il est. Certes, officiellement, on continue de penser de façon très rationnelle, mais en réalité on agit, on décide et on choisit de plus en plus fréquemment avec notre sensibilité. Résultat : nos comportements et nos réactions deviennent plus imprévisibles et plus insaisissables ! Un collaborateur n’est plus un individu homogène aux réactions parfaitement prévisibles. C’est une personne singulier-pluriel, qui porte en réalité différents masques en fonction des situations et des circonstances. Ce sont ces différents masques qui expliquent qu’un même individu pourra avoir des réactions et des comportements très différents, voire contradictoires en fonction des situations et des circonstances. Alors que nous avions plutôt appris à gérer des individus rationnels qui mettaient des barrières étanches entre leurs différentes vies, nous sommes de plus en plus confrontés à des personnes post modernes beaucoup plus insaisissables et imprévisibles car vivant plusieurs vies à la fois, y compris dans leur job. On le sent bien, notre management devra évoluer pour s’adapter aux différentes facettes de chaque personne en face de nous. Et si nous avons la capacité à nous adapter à chaque facette de notre collaborateur, c’est peut être autant de pactes gagnant-gagnant que l’on peut passer avec lui !

 

Les six ruptures décrites ci-dessus — et peut-être d’autres — se déroulent chaque jour et peuvent rendre notre management de moins en moins efficace si on continue de les ignorer. Ou au contraire de plus en plus efficace si on a le courage et le talent de les transformer en nouveaux leviers de motivation…

Vous l’avez bien compris, si nous voulons être des managers force d’interposition entre des contextes et des équipes, nous sommes condamnés à surfer sur ces ruptures pour nous adapter aux nouveaux leviers de motivation de nos collaborateurs.

Alors, quels pourraient être ces nouveaux leviers de motivation et surtout comment les actionner ? C’est ce que l’on va découvrir dans une troisième partie, qui propose des pistes de travail sur la base des ruptures entre un monde moderne mourant et un monde post moderne émergent…

Pour chaque nouveau levier de motivation, nous inventerons un mot pour le nommer, puis nous décrirons ce que qu’il signifie en terme de management post moderne et enfin nous baliserons quelques pistes pour actionner ce levier.

Un premier levier de motivation post moderne pourrait être LA MAGIFICATION.

La MAGIFICATION c’est l’aptitude du manager à transmettre une vision sublimée du métier ou de la mission. Comment activer ce levier ? Par exemple en réconciliant « mission » et « vocation ».

Avoir la capacité de faire converger la vocation et la mission de ses collaborateurs, voilà une capacité managériale très post moderne. Un manager post moderne, c’est peut être et avant tout un réconciliateur. Cette réconciliation entre mission et vocation, quand elle possible, permet de passer avec vos collaborateurs d’un « contrat de dupe » à un « vrai pacte » avec très souvent à la clé plus de plaisir, moins de stress et plus de résultats. Cette convergence entre mission et vocation offre au collaborateur une cohérence dans son action, une légitimité dans sa mission et une noblesse dans son travail qui vont lui donner des ailes. La Magification au fond, c’est la capacité du manager à présenter la mission à son collaborateur, non pas comme un travail à réaliser, mais comme une œuvre à accomplir. Et plus l’œuvre demandée coïncide avec la vocation du collaborateur, plus le collaborateur se mobilise et s’énergise.

À l’inverse, plus la mission s’assimile à un simple travail à exécuter et plus le collaborateur se vide de toute énergie et de toute envie. N’oublions pas en effet qu’étymologiquement, le travail se rapporte à la torture (le mot travail vient du latin tripalium qui était un instrument de torture) et qu’il n’y a pas si longtemps, seul le peuple travaillait, les autres personnes se consacraient à des activités plus nobles.

Un deuxième levier de motivation post moderne pourrait être la LUDIFICATION.

La LUDIFICATION, c’est l’art d’insuffler du jeu et du ludique dans les activités professionnelles. Comment le manager peut-il actionner ce levier ? Certainement en simplifiant la mission de ses collaborateurs. Simplifier une mission, c’est augmenter le rendement et l’efficacité de la mission tout en rendant cette mission plus légère à porter et à exécuter.

C’est, en effet, la lourdeur et l’inefficacité de ce qui est parfois demandé au quotidien qui décourage et accable les troupes. Bien évidemment, simplifier une mission n’est pas facile, mais cela n’a jamais été aussi important et urgent, compte tenu de la perception d’une majorité de salariés qui ont vécu de longues années pendant lesquelles la brouette des contraintes s’est considérablement remplie sans presque jamais se vider, d’où un phénomène de saturation.

Prenons un exemple décalé pour comprendre la puissance de la simplicité en se posant la question suivante : quelle est la principale vertu d’un moniteur de ski ? C’est de rendre votre technique plus efficace et plus légère. C’est en effet, grâce à l’efficacité et à la légèreté de la technique acquise que le ski devient plus ludique. C’est avec la bonne technique et le bon geste que l’enjeu de rester debout sur ses skis se transforme en jeu… le jeu de la glisse. Avec la bonne technique, avec le bon geste, la piste noire qui était un vrai cauchemar et un vrai enjeu, devient un vrai bonheur et un vrai terrain de jeu !

Face au besoin croissant de jeu et de ludique qui existe chez nos collaborateurs, la question clé à se poser, si l’on veut incarner un manager post moderne, devient donc : Quel est le degré d’efficacité et de légèreté de ce que je propose à mes équipes au quotidien ? Une autre question clé pourrait être : ai-je la capacité de transformer mes propres enjeux en jeu pour mes collaborateurs ? Car transformer mes enjeux en jeu pour les autres, c’est peut- être le meilleur moyen, dans un monde post moderne, de réussir mes enjeux!

Un troisième levier de motivation post moderne pourrait être l’INITIATION.

L’INITIATION, c’est l’aptitude du manager à offrir à l’autre un apprentissage permanent. Comment initier le levier INITIATION ? Peut-être en redéfinissant la notion d’intelligence ? Comment redéfinir l’intelligence me direz-vous ? Pour répondre à cette question, commençons par dire que l’intelligence n’est plus exactement ce qu’elle était.

A l’ère moderne, l’intelligence était surtout quantitative. A l’ère moderne, on était intelligent parce que l’on avait un gros chiffre d’affaires et beaucoup de salariés, beaucoup de processus bien standardisés et une batteries de contrôles pour tout verrouiller. Dans ce modèle d’intelligence quantitative, la valeur ajoutée reposait essentiellement sur la force mécanique et robotique des salariés et  des processus. Ce modèle, parce qu’il était très normalisé et très standardisé, favorisait peu l’autonomie, la créativité et la responsabilité.

Avec l’émergence du post moderne, les unités de mesure de l’intelligence sont en train de changer. L’intelligence qualitative est en train de remplacer l’intelligence quantitative. Etre intelligent quantitativement est très différent d’être intelligent qualitativement. L’ère moderne nous imposait un défi quantitatif. L’ère post moderne nous impose un défi qualitatif, et nous y sommes particulièrement mal préparés. C’est donc à nous, managers post modernes, de donner nous interposer entre cette quantité qui nous est parfois demandée par le « système financier » et la nécessaire qualité pour retrouver du sens, de la légitimité et de la crédibilité auprès de nos collaborateurs.

Pour raisonner avec cette intelligence qualitative, notre management et nos contrôles doivent sans cesse valoriser la qualité plutôt que la quantité, et la création plutôt que la répétition. C’est un vrai défi à nos neurones, c’est un vrai supplice pour nos réflexes et nos marqueurs de performance qui restent encore très quantitatifs.

Un 4ème levier de motivation post moderne pourrait être LA CONCENTRATION.

La CONCENTRATION, c’est l’aptitude du manager à se focaliser sur ce qui est utile. Comment activer le levier CONCENTRATION ? Si l’on veut fabriquer de la Magification, de la Ludification ou de l’Initiation, il est nécessaire de concentrer chaque gramme de son énergie et chaque seconde de son temps sur ce qui est utile pour obtenir un maximum de résultats avec ses équipes. Du coup, il est peut-être nécessaire d’appréhender les 3 types de temps auxquels un manager post moderne peut être confronté.

– Le 1er type de temps, c’est le temps accéléré : c’est un temps dans lequel on a de la visibilité et dans lequel le cap est parfaitement fixé. Dans ce type de temps-là, pour fabriquer le plus de résultats possible, le manager post moderne se concentre sur l’accélération du rythme et de la cadence (d’où le nom « temps accéléré »). C’était un type de temps très fréquent à l’ère moderne, quand la visibilité était importante avec des plans d’action assez mécaniques et très répétitifs à déployer. Ce sera un temps beaucoup  moins fréquent à l’ère post moderne.

– Le 2ème type de temps, c’est le temps saturé : c’est un temps dans lequel on a plusieurs choses à faire à la fois, et bien entendu, il n’est pas possible de tout faire en même temps. Dans ce type de temps-là, pour fabriquer le plus de résultats possible, le manager post moderne doit se concentrer sur le tri et les choix à faire. Ce temps saturé est un temps plus fréquent à l’ère post moderne qu’à l’ère moderne. Devoir faire des vrais choix, c’est-à-dire « renoncer à telle chose pour avoir telle autre », va devenir le credo de plus en plus nécessaire. En effet, l’ère moderne était l’ère de l’abondance, l’ère post moderne sera l’ère des choix et des arbitrages à faire. Il va falloir apprendre à choisir.

– Le 3ème type de temps, c’est le temps compressé : c’est un temps dans lequel il n’existe plus de passé et pas encore d’avenir. C’est donc un temps de rupture… Dans ce type de temps-là, le manager est privé de la plupart des repères qu’il s’était construit dans le passé et n’a pas encore à sa disposition les phares qui le guideront vers le futur… Dans ce type de temps-là, pour fabriquer le plus de résultats possibles, le manager post moderne doit se concentrer sur la définition d’un nouveau cap, avec le choix d’une nouvelle destination et le choix d’un nouveau chemin pour arriver à cette destination. Ce temps compressé, quasiment inexistant à l’ère moderne, est évidemment très présent à l’ère post moderne. C’est d’ailleurs ce temps-là qui, avec le temps saturé, nous déroute, nous perturbe et nous déstabilise dans nos reflexes de managers modernes. Mais c’est aussi ce temps-là qui nous donne l’opportunité de repartir d’une page blanche et donc d’inventer le management de demain, pour concentrer son énergie sur ce qui est utile. Il est utile d’être lucide, action par action, sur le type de temps dans lequel s’inscrit notre action, et à défaut, sur le contre-sens et donc la contre-productivite qui nous guette.

Le 5ème levier de motivation d’un management post moderne pourrait s’appeler LA SINGULARISATION.

La SINGULARISATION, c’est l’aptitude du manager à personnaliser son management en passant de l’individu à la personne. L’ère des forces de vente standardisées est révolue. On ne recherche plus des clones de visiteurs médicaux. Aujourd’hui, les médecins (selon une enquête récente sur la Visite Médicale) pensent qu’il y a trop de produits et pas assez de personnalités en visite médicale… L’avenir est au sur-mesure, voire même, dans certains cas, à la haute couture…

Et c’est grâce à la singularisation du management que l’on parviendra à ce sur-mesure à l’intérieur des équipes. Pour essayer de singulariser notre management, nous devons apprendre à préférer l’engagement à l’obéissance et ce n’est pas un réflexe naturel. Et pourtant, dans la vraie vie, qu’est-ce qui produit le plus de résultats aujourd’hui ? Une stratégie nationale top-down appliquée de façon obéissante par des équipes saturées de directives ? Ou bien des initiatives locales personnalisées bien pensées, bien construites et bien déployées au plus près des clients ? Cette liberté de création, d’expression et d’action est possible, contrairement à ce que l’on pense, à condition d’accepter son corollaire. Le corollaire de la liberté, c’est la responsabilité. Être responsable, c’est avoir la liberté de faire des choix et d’assumer ses choix. Il n’y a pas de responsabilité sans liberté et il n’y a pas de liberté sans responsabilité. La liberté sans responsabilité c’est de l’irresponsabilité et de la responsabilité sans liberté c’est du harcèlement.

Ce couple liberté-responsabilité, c’est la pierre angulaire d’un pacte post moderne à mes yeux. « Fais ce qu’il te plaît, mais engage-toi », voilà comment on pourrait résumer la force du couple liberté-responsabilité. Pour un manager post moderne, rendre son collaborateur libre et responsable est une forme de SINGULARISATION, qui finit toujours par être très appréciée, car la singularisation est un excellent moyen de prendre en compte la personne dans son ensemble pour qu’elle exprime et exploite ses différentes sensibilités. Un exemple concret de singularisation est, à mon sens, à retenir chez Google où tous les salariés ont le droit de consacrer 20 % de leur temps de travail à une initiative personnelle en lien avec le business de Google, sans accord hiérarchique. Résultat : 80% des innovations de Google prennent leur origine dans ces 20%-là de temps de travail.

Un 6ème levier de motivation d’un management post moderne pourrait s’appeler LA SACRALISATION.

La SACRALISATION, c’est l’aptitude du manager à définir puis à protéger ce qui est essentiel pour sa tribu. Après une ère moderne caractérisée par l’abondance, l’ère post moderne nous donnera l’occasion de nous recentrer sur ce qui est essentiel et vital pour nous, avec à la clé de vrais arbitrages à faire. Au revoir l’Abondance, bonjour la Frugalité, voilà un des changements majeurs entre le monde moderne où toutes les ressources étaient facilement accessibles, et le monde post moderne où toutes les ressources seront comptées. Chacun devra augmenter son niveau d’autonomie (dans tous les sens du terme) et apprendre à faire mieux avec beaucoup moins… Dans beaucoup de domaines, il faudra choisir, donc renoncer à certaines choses. Parmi ces domaines, il y a le management.

En pratique, les managers post modernes travailleront en réseau et en tribu au service de projets très engagés et de valeurs fortes. Le vrai patron, ce sera le projet et, frugalité oblige, ce sera fromage ou dessert, beurre ou argent du beurre, mais pas les deux. Cet art de la frugalité et du choix fera émerger à nouveau le sens du sacré et du vital. En effet, quand on peut avoir fromage et dessert, il est difficile d’apprendre à choisir, et plus rien n’est sacré, plus rien n’est vital.

Cet art de la frugalité et de la sacralisation n’a rien à voir avec le sacrifice, car le sacrifice est souvent subi, alors que la frugalité et la sacralisation seront  choisies. Pour passer un vrai pacte avec sa tribu, la sacralisation en management post moderne serait de poser la question en ces termes : « Si on devait tout nous prendre, sauf un truc, quel est ce truc, et quel prix est-on prêt à payer pour conserver ce truc ? »

Parmi les ruptures entre le monde moderne et le monde post moderne, il y en a une, qui englobe toutes les autres, c’est la rupture du vocabulaire… Les mots de passe de l’ère post moderne ne sont plus les mots clés de l’ère moderne. En conséquence de quoi, je vous propose un mini-lexique pour renouveler notre vocabulaire de manager. Ce comparatif de langage moderne/post moderne nous aidera peut-être à cheminer vers ce management post moderne, qui peut nous permettre d’obtenir encore de très belles choses avec nos équipes.

M-P-M


* Marc Halévy est physicien, philosophe et prospectiviste, expert en management stratégique et en situations complexes.
Il est conférencier et l’auteur de nombreux livres et articles. 

Parmi ses ouvrages réputés : « NOÉTIQUE, vers la société de l’intelligence » : cliquez ici pour plus de détails sur cet ouvrage
** « LE GRAND VIRAGE DES MANAGERS, du management post-industriel au néo-management » : cliquez ici pour recevoir un extrait gratuit

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Cette entrée a été publiée le lundi 7 janvier2013 à 18 h 48 min, et rangée dans Management, Motivation. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via son flux RSS 2.0.Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un rétrolien depuis votre site.
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4 réponses

9 janvier 2013 à 19 h 38 min
Hervé PIRON écrit :

Bonjour,

Vraiment toujours aussi remarquable vos articles.
Merci

4 février 2013 à 19 h 09 min
Yves de Montbron écrit :

Merci beaucoup pour votre commentaire 😉

16 juillet 2013 à 12 h 39 min
houssemaine écrit :

votre article est une mine pour moi formatrice en manangement surtout sur les thématiques intergénérationnelles
la grande difficulté pour eux passer du système verticalo-hiérarchique au système systémique
merci
Britt

10 octobre 2013 à 10 h 56 min
Aurélien écrit :

L’article est très interessant. Les remarques et problématiques pertinentes. Nous sommes dans une nouvelles dimension managériale, nous pouvons le sentir, l’exprimer, connaître les leviers, mais à aucun moment les moyens. Et c’est là que tout devient difficle. On a éplucher les bouquins, épuisé les théories, alors on se lance dans l’impro. Et qu’est ce que c’est bon. Mais on peine encore à trouver les outils, méthodes, approches…

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